AVRIL
MA GALERIE SONORE

MA GALERIE SONORE est un espace virtuel dédié à l’art radiophonique lancé cette saison. Entre octobre et juillet, des personnalités, réalisateurs et réalisatrices, artistes et radios complices proposent une sélection coup-de-cœur de trois à cinq œuvres audio à l’écoute dans MA GALERIE. radioma.eu

AVRIL
MA GALERIE SONORE

MA GALERIE SONORE est un espace virtuel dédié à l’art radiophonique lancé cette saison. Entre octobre et juillet, des personnalités, réalisateurs et réalisatrices, artistes et radios complices proposent une sélection coup-de-cœur de trois à cinq œuvres audio à l’écoute dans MA GALERIE. radioma.eu

thomasguillaudbataille.tumblr.com

Coordinateur des Audioblogs d’ARTE Radio, Thomas Guillaud-Bataille est aussi créateur sonore. Il aborde tous les genres de la radio avec curiosité, de l’auto-fiction poétique, au paysage sonore en passant par le reportage. radioma.eu/podcast/d-rives

Thomas Guillaud-Bataille est réalisateur radio, auteur de podcasts et metteur en scène. Il est aussi coordinateur des audioblogs d’Arte Radio depuis 2015. Il a réalisé pour Radio MA deux podcasts intitulés D-Rives.

Ce qui frappe à première vue dans votre sélection, c’est la très grande diversité des approches tant au niveau sonore que du point de vue de l’écriture. C’était une volonté de votre part que ce soit si diversifié ou bien c’est tout simplement le reflet de vos goûts ?
Thomas Guillaud-Bataille : Effectivement il y avait une volonté de montrer la diversité de ce que j’aime. J’ai un goût pour toutes les formes de radio qu’elles soient en direct comme Le tribunal des flagrants délires, travaillées pendant des mois, voire des années, comme pouvait le faire Yann Paranthoën ou encore proche de la matière brute, fragmentaire, comme ce qu’on peut entendre avec Jonas Mekas. Et dans mon travail, je m’inspire un peu de toutes ces formes de radio là aussi, à chaque projet je me pose la question de la forme qu’il va prendre. Le fait d’avoir été curieux dans mes écoutes, ça m’ouvre beaucoup d’horizons, c’est aussi ça l’idée pour moi : d’aller découvrir comment d’autres s’y prennent pour donner forme à un projet.

Est-ce que vous pourriez retracer un peu votre histoire d’auditeur de radio ? Ça commence comment ? Ça passe par où ? 
T.G.B. : Si je fais une histoire rapide, je pense qu’il y a d’abord la radio qu’on entend parce que c’est la radio que les parents écoutent. Je me souviens des chroniques de Philippe Meyer quand on montait dans la voiture pour aller à l’école. Il finissait toujours par « Nous vivons une époque formidable ». Ensuite, je dirais que le premier moment où j’ai l’impression que la radio est une forme d’expression à part entière, je pense que c’est avec Là-bas si j’y suis, l’émission de Daniel Mermet sur France qu’on écoutait également en voiture, en famille, lors des longs déplacements. Je me souviens par exemple d’une émission qu’il avait tournée dans un bureau de poste et où de passer une heure dans cette poste était quand même passionnant ! Vient ensuite la radio que moi, j’ai décidé d’écouter. Quand j’étais étudiant en lettres, je me souviens de Surpris par la nuit que j’enchainais souvent avec Du jour au lendemain. Et puis pour finir il y a la découverte du podcast avec l’émergence au début des années 2000, d’Arte Radio. Je l’écoute d’abord beaucoup avant de leur envoyer plein de mails pour essayer d’y publier des choses. Ce qui est nouveau parce que jusqu’ici j’étais un simple auditeur mais avec eux je me suis dit que peut-être, je pouvais être un auteur et m’exprimer à ma manière. C’était un espace qui semblait donner la liberté aux auteurs de chercher leur style, de chercher leur forme.

Votre sélection s’ouvre avec Jonas Mekas, artiste protéiforme mais principalement connu pour ses films, pour quelle raison ? 
T.G.B. : Si avec Là-bas si j’y suis, j’avais l’impression que la radio était un mode d’expression, avec ce programme précisément (À Pétrarque (qui traversa les collines de Provence à pied) de Jonas Mekas), j’ai eu l’impression que ça pouvait être un mode d’expression artistique et je crois que ça a été mon premier choc esthétique provoqué par une forme sonore. À cette époque je me destinais plutôt à la vidéo mais en réalité les cinéastes que j’aimais travaillaient énormément le son. C’est comme ça que j’ai d’abord aiguisé ma sensibilité au sonore, avec Bresson, Godard, Melville, Lynch, Welles, etc. J’avais d’ailleurs cette pratique un peu bizarre d’enregistrer le son de ces films et de les réécouter sans images. Dans le montage de mes premières œuvres sonores, il y avait une grosse influence de Godard, notamment la façon dont il monte les sons, les musiques les voix dans ses Histoires du cinéma, ou encore la lecture des Notes sur le cinématographe de Bresson. 
Pour revenir à Jonas Mekas, ce qui m’a fasciné c’est l’aspect très brut de l’œuvre. Les prises de son ne sont pas de bonne qualité, il y a beaucoup de bruits de micro, beaucoup de vent, les sons sont souvent pris de très loin. Malgré tout, parce cette matière est reliée à la vie d’un individu sous la forme d’un journal sonore, ça résonne d’une manière particulière grâce au montage. Ce qui m’avait épaté c’est d’enchaîner par exemple une ambiance enregistrée aux funérailles d’Andy Warhol et un enregistrement au bord d’une plage en France où il est lui-même en train de chantonner sur fond de bruit de vagues. J’ai été très touché par ce genre de montage là, et aussi par l’audace qu’il me semblait falloir pour faire durer un son de métro new-yorkais pendant une minute trente alors même que le son n’est pas incroyable ! C’est comme l’irruption d’un son du 11 septembre, après de nombreux sons familiaux des années 80, d’un seul coup on est en 2001 avec un témoignage qu’on n’avait jamais entendu, avec les sirènes, une femme qui pleure à l’arrière-plan. Ce mélange de sons de natures et d’époques différentes, crée une sorte de portrait de lui qui m’a beaucoup ému.

Si Jonas Mekas est plus un artiste du montage que de la prise de son, c’est très différent avec Félix Blume chez qui la technique d’enregistrement est au premier plan. Est-ce qu’on pourrait dire que c’est davantage une démarche de compositeur ?
T.G.B. : Oui, c’est en partie pour la qualité de ses prises de son que j’ai choisi ce travail mais en réalité c’est le cas de tous ses travaux. Effectivement, c’est une démarche de composition par le montage
L’histoire de celle-ci est amusante. En arrivant à Mexico, pour s’y installer, Félix Blume avait été totalement ébahi par ces cris de vendeurs qui sillonnent la ville en permanence. Chacun a un peu son cri et il arrive souvent, qu’on en entende deux ou trois à différents points de la ville. Pour retranscrire cette ambiance particulière, il s’est d’abord dit qu’il allait poser ses micros en un point de la ville, un peu stratégique, et puis les laisser tourner. Au final, même quand la magie opérait dans le réel, que les cris se chevauchaient, il ne retrouvait pas la même sensation dans ses écouteurs. Alors il a décidé d’aller voir chaque vendeur et de leur demander d’enregistrer leur cri isolé, dans un endroit calme pour pouvoir recréer au montage cette espèce d’émotion particulière qui l’avait saisi.
J’aurais pu citer beaucoup d’autres choses de Félix Blume. J’aime beaucoup la série Son seul où il répond à des commandes très précises de prise de son pour des documentaires, comme par exemple les pas d’une tortue sur le sable, le mouvement d’un âne ou d’une cannette de coca dans le désert. Il y a souvent un peu d’humour dans son travail, ce qui n’est pas si courant dans ces pratiques.

Ensuite, avec Qui a connu Lolita ? d’Anouk Batard et Mehdi Ahoudig, on aborde un travail plus clairement documentaire, journalistique presque.
T.G.B. : Alors oui, journalistique, sauf qu’aucun journaliste ne fait de commentaires et d’ailleurs ça n’est pas fait par des journalistes. Je l’ai choisi parce que d’une manière générale, j’aime tout ce que fait Mehdi Ahoudig. Il fait partie des rares à la radio qui construisent une sorte d’œuvre, un peu cohérente. Ça n’est pas qu’il aurait une thématique dans l’écriture, mais il a un style assez reconnaissable, et une capacité à provoquer des situations documentaires, et c’est ça qui me plaît. 
Qui a connu Lolita ? c’est une enquête sur une femme cap-verdienne, qui a été retrouvée morte chez elle à Marseille avec ses deux enfants. Le documentaire essaie de comprendre ce qui lui est arrivé mais au travers des personnes et des lieux rencontrés, c’est le portrait d’une ville, d’un quartier qu’il fait. Je trouve que même s’il est assez classique, le montage de la séquence d’ouverture par exemple est fait avec beaucoup de légèreté et de brio. Je la diffuse souvent lorsque je donne des ateliers, en quelques minutes on comprend beaucoup de choses sur la radio. Et puis il cherche souvent à faire un peu grincer les choses, je pense notamment à cette situation où parce qu’il comprend que cette jeune femme faisait partie d’une communauté chrétienne, il va rencontrer un prêtre et alors qu’il enregistre un mendiant vient demander l’aumône, que lui refuse le prêtre. D’autres auraient choisi de ne pas garder cette séquence, mais Mehdi la garde et en dit à elle seule beaucoup sur un quartier. Je trouve que Mehdi maitrise particulièrement bien cet art du récit sans commentaires.

Vous avez intégré à votre sélection une figure légendaire de la radio française, à savoir Yann Paranthoën. Quelle place son travail tient dans votre rapport à la création radiophonique ?
T.G.B. : En fait je ne connaissais absolument pas Yann Paranthoën et c’est Christophe Rault qui était le co-fondateur, ingénieur du son et réalisateur d’Arte Radio qui l’a fait découvrir à toute notre génération qui commençait alors le podcast avec cette plateforme. Il le dit lui-même assez clairement, une bonne partie des débuts d’Arte Radio venait d’une influence directe de Parnthoën et donc il y a des choses qui nous sont restées. Par exemple j’aime cette idée que le montage est toujours là pour relancer le désir d’écoute, que lorsqu’une parole doit se déployer, elle se déploie mais que parfois, on va faire jouer l’ambiance et la parole de façon pas du tout naturaliste. 
J’ai choisi son travail sur Fausto Copi déjà parce que c’est l’un des rares à être en ligne mais la première raison, c’est le rapport que Paranthoën entretient au populaire, au peuple. Il y a constamment ça dans son travail et là il aborde le sport populaire par excellence, le vélo qui était par ailleurs son sport favori. La deuxième chose que j’aime c’est qu’il y a souvent des moments un peu « meta » dans son travail. Dans ce travail sur Fausto Copi il y a par exemple cette séquence que j’adore où il enregistre la roue du vélo qui tourne et où il met en scène le fait d’enregistrer. On l’entend qui demande à ce qu’on la fasse tourner plus vite, moins vite, freiner… pour l’enregistrement. Et les roues, ça tourne un peu comme les bobines du magnétophone. J’extrapole peut-être un peu, mais il y a quand même cette petite dimension « méta », discrète. Enfin, un troisième point c’est que pendant presque 30 ans, le travail de Paranthoën était peu écoutable parce refusait que ses œuvres soient diffusées sur Radio France qui avait pris la décision de compresser le son. Comme c’est raconté dans le podcast, lorsque les filles de Parathoën ont contacté Antoine Chao pour diffuser cet inédit, Radio France a accepté de désactiver la compression à l’antenne, juste pour cette diffusion-là. 

On finit sur une note plus humoristique avec le fameux Tribunal des Flagrants Délires dont vous avez choisi l’un des moments les plus cultes, le passage de Jean-Marie Le Pen sous la double plaidoirie de Pierre Desproges et de Luis Rego. Pourquoi ce choix ?
T.G.B. : C’est plus généralement tout le tribunal que je retiens. Ça n’est est pas du tout mon époque mais c’est vraiment relié à un souvenir familial. Mon père avait acheté le CD des plaidoiries de Desproges lorsque ça a été édité. On avait l’habitude de faire ça plutôt avec la télé mais là notre père nous faisait nous asseoir et en famille on en écoutait 5 ou 6 d’affilés. Et même : on les réécoutait ! Si bien qu’aujourd’hui je les connais presque par cœur. Ce dont je me souviens c’est qu’il y avait côté monument de la radio où on sentait cette énergie du direct tout en étant un art de l’écriture, un art de la parodie du plaidoyer, de l’humour. Au-delà même de Desproges, il y avait aussi une sorte d’énergie de troupe, de blagues bien placées vis à vis des autres humoristes (la tante de Luis Rego) etc. Et c’est dans l’émission avec Le Pen que Desproges fait tout son développement, qui est beaucoup repris par les humoristes aujourd’hui, sur le principe de pouvoir rire de tout, mais pas avec n’importe qui. 

Entretien réalisé par Adrien Chiquet avec Thomas Guillaud-Bataille
Avril 2024

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