JUILLET
MA GALERIE SONORE
MA GALERIE SONORE est un espace virtuel dédié à l’art radiophonique lancé cette saison. Entre octobre et juillet, des personnalités, réalisateurs et réalisatrices, artistes et radios complices proposent une sélection coup-de-cœur de trois à cinq œuvres audio à l’écoute dans MA GALERIE. radioma.eu
JUILLET
MA GALERIE SONORE
MA GALERIE SONORE est un espace virtuel dédié à l’art radiophonique lancé cette saison. Entre octobre et juillet, des personnalités, réalisateurs et réalisatrices, artistes et radios complices proposent une sélection coup-de-cœur de trois à cinq œuvres audio à l’écoute dans MA GALERIE. radioma.eu
À la tête des Eurockéennes de Belfort depuis 2001, fondateur du festival GéNéRiQ, cocréateur et activiste de la fédération internationale DeConcerts!, il est un incontournable de la scène musicale nationale et internationale.
LA
SÉLECTION
TATION
DE LA
SÉLECTION
Jean-Paul Roland est depuis 23 ans directeur général de l’association Territoire de Musiques qui organise le festival des Eurockéennes de Belfort.
Votre sélection peut paraître étonnante puisque non seulement on y entre par un podcast qui s’appelle « La haine de la musique », qu’il s’agit d’un texte de Pascal Quignard qui n’est pas forcément l’auteur qu’on attend le plus de la part d’un directeur de festival, et qu’enfin il y est largement question de Musique contemporaine. Alors, pourquoi avoir choisi de commencer par là ?
Jean-Paul Roland : J’ai toujours considéré que l’esthétique musicale dont on s’occupe en particulier, c’est-à-dire la musique populaire, a une sorte de maladie inhérente qui est la modernité. D’un point de vue mercantile, cette modernité est censée toujours se reproduire et c’est assez vertigineux ! Un peu en réaction et du fait de ma formation littéraire, j’ai toujours cherché à sortir de cette logique où un groupe en remplace un autre continuellement et j’ai voulu aller vers des choses qui s’en échappent un peu. En particulier au travers de ce que l’on pourrait appeler « les classiques », disons de Balzac à Moondog !
Plus généralement, ce qui caractérise peut-être toute cette sélection, c’est une thématique autour des mots de la musique, ou de la musique des mots, c’est ça qui m’a intéressé. Ça et des aventures qui peuvent rejoindre un peu ce que l’on fait au festival, une sorte d’ouverture vers le monde où l’on va d’Abidjan jusqu’à la 6e avenue de New York.
« La haine de la musique » avec son titre un peu provocateur, j’y suis arrivé en découvrant que la musique pouvait servir dans la guerre en Irak (les soldats américains diffusaient de la musique assourdissante pour perturber leurs ennemis), ou encore qu’on s’en servait comme d’une technique de torture à Guantanamo. Le texte de Quignard est un essai qui circule quand même beaucoup et qui part d’un constat assez simple, à savoir que l’oreille n’a pas de paupière. Quand on a dit ça, on a à peu près tout dit. Le son touche directement le corps, et en travaillant dans la musique ça pose quand même beaucoup de questions, sur l’envahissement de la musique par exemple le fait qu’on puisse aujourd’hui difficilement sortir dans une ville sans qu’il y ait de la musique dans la moindre boutique.
Ensuite, vous nous proposez l’écoute de quelque chose qui, pourrait d’abord paraître moins étonnant, puisque c’est Bertrand Belin. Mais voilà, c’est Bertrand Belin dans une émission de philosophie sur France Inter !
J.P. Roland : Il y a les sons dont on se souvient du fait du moment où on les a écoutées. Cette émission je l’ai écoutée par hasard en sortant d’un concert, un immense concert de stade, celui des Rolling Stones à Lyon. Donc bruit, fureur, beaucoup de monde, etc. Je me suis retrouvé en voiture de nuit et j’ai entendu ce programme qui m’a fait un bien fou après ce que je venais de vivre (mais les Stones m’avait aussi fait beaucoup de bien!). Après tout ce clinquant, entendre d’un coup des gens qui parlaient tranquillement, simplement… Et puis Bertrand Belin c’est aussi l’un des beaux concerts que j’ai vu à MA Scène nationale et on oublie souvent que c’est aussi et surtout un auteur qui a publié plusieurs livres. Par ailleurs, il a fait un morceau que curieusement nous considérons tous les deux avec le président des Eurockéennes Mathieu Pigasse que c’est le meilleur morceau de 2022 : Oiseau (sur un album de Laurent Bardainne & Tigre d’eau douce). Dans cette petite chanson il y a des choses vraiment étonnantes et on y rencontre un peu toutes les passions de Belin : les mots, le minimalisme, et aussi, les animaux. On dit qu’il y a toujours une histoire de chien dans ce que fait Belin mais là, c’est une histoire d’oiseau. Donc voilà, un trajet entre Lyon et la Suisse, de nuit, en écoutant les mots de deux personnes, eh bien c’était ce qui pouvait m’arriver de mieux après I can get no satisfaction, au milieu de 20 000 personnes dans un stade avec des lumières partout.
J’étais seul. Personne pour discuter. Seul avec Bertrand Belin et Charles Pépin…
Il est probable que cette sélection fera ensuite découvrir à beaucoup de lecteurs et lectrices cette poète contemporaine : Laura Vázquez. Alors, d’où, pourquoi, et comment Laura Vázquez ?
J.P. Roland : Depuis à peu près trois ans, je me suis remis à lire de la poésie. J’ai été assez classique au début, Baudelaire, Villon, Lautréamont, les trucs de rocker d’une certaine façon, puis de plus en plus ouvert avec Glissant, Pessoa, etc. Un jour je suis tombé par hasard sur l’émission La Grande Librairie où l’une des invitées était Laura Vázquez, qui a eu le prix Goncourt de la poésie en 2023. Elle lisait son propre texte à la télé. Souvent on oublie un peu que la poésie ça peut être lu à haute voix et en fait, je trouve ça magique. Il me semble que les écrivains, les poètes, quand ils écrivent doivent d’une façon ou d’une autre lire un peu à haute voix. En tous cas, là ça m’a mis un choc énorme. J’ai fait comme Magyd Cherfi qui était assis à côté d’elle dans l’émission : j’ai fermé les yeux en l’écoutant. Ce qui m’a beaucoup plu c’est la force impressionnante avec laquelle elle dit les mots, elle les écrit. Une sorte de rythme un peu scandé par lequel on arrive à une sorte de transe.
Elle est actuellement installée à Marseille, d’une part parce qu’il y a une maison de la poésie et aussi parce que la rue n’est jamais très loin, qu’on n’est pas dans les salons littéraires, qu’on la sent la rue, les quartiers. Pour moi, c’est l’une des plus grandes poétesses que j’ai lu dernièrement et je conseille son livre « Le livre du large et du long ».
D’une poésie à l’autre en quelque sorte, nous arrivons en Côte d’Ivoire et on découvre sur France Culture grâce à vous et à l’émission Sur les docks : le Nouchi.
J.P. Roland : Le Nouchi, on pourrait résumer ça comme une sorte d’argot des rues, en Côte d’Ivoire. La Francophonie, on l’oublie trop souvent, c’est assez large et finalement la France n’en est pas le centre. Il y a plus de gens qui parlent français à l’extérieur de la France qu’en France. Ce qui m’intéresse dans le Nouchi, c’est que dans un pays où il y a environ 70 ethnies et langues, c’est un argot qui va faire unité. Depuis les quartiers populaires, depuis la rue, une langue est inventée par les jeunes, et c’est vraiment une langue d’unité. Ce qu’elle a en plus d’intéressant, c’est qu’elle est tout le temps en évolution. Revenez dans six mois et vous avez toutes les chances de ne plus rien comprendre. Parallèlement, on s’aperçoit que des mots du Nouchi commencent à aussi être utilisés en France : l’enjaillement, la go, etc. il y en a même qui sont entrés il n’y a pas très longtemps dans le dictionnaire. J’aime qu’une langue mute, qu’elle endosse ce côté vivant et imagé de la parole.
J’ai aussi avec ça un rapport personnel puisque je suis métis de Côte d’Ivoire, que j’y ai vécu jusqu’à mon adolescence et que j’y retourne régulièrement. Aux Eurockéennes j’ai fait venir des artistes ivoiriens et notamment Nash, une rappeuse ambassadrice du Nouchi qui en a écrit un petit dictionnaire. D’ailleurs le podcast pose aussi la question de savoir si cette langue doit ou pas remplacer le français, si elle doit être utilisée par les journalistes, par exemple.
Vous terminez votre sélection avec finalement le seul podcast « musical » à proprement parler et c’est donc une émission sur Moondog. Alors, peut-être y a-t-il encore des gens qui ne connaissent pas Moondog ? Comment vous le présenteriez ?
J.P. Roland : Comme on le dit parfois pour certains grands auteurs, heureux soient ceux qui n’ont pas encore écouté Moondog, ils auront la joie de le découvrir. Plutôt que le présenter, je peux dire comment j’y suis arrivé par une sorte de curating. Il y a des maisons de disques qui sont assez malines pour mettre un autocollant sur le CD avec marqué : « recommandé par Sonic Youth». Donc à partir de là, moi, sans être un fan absolu de Sonic Youth je sais quand même qu’ils ont bons goûts en dehors du rock, j’ai écouté. J’ai comme ça découvert ce qui se cachait derrière la photo de ce viking et ses cornes. Et finalement, il a rapidement rejoint le panthéon de mes artistes dans la catégorie des grands solitaires (avec Nick Drake et Alain Péters par exemple). C’est un podcast où l’on rencontre aussi bien des musiques d’indien Arapaho, que la figure de Marlon Brando. Ça parle de New York, ça parle d’Allemagne, ça parle de beaucoup, beaucoup de choses. Et ce personnage est quand même incroyable. Il vient plutôt du jazz mais au travers de son père évangélisateur des indiens, il se met aux percussions. Il devient un personnage très symbolique dans les années 50 à New York, au carrefour du postmodernisme, de la musique répétitive, du minimalisme, etc. Moi, j’y vois toujours un rapport avec les berceuses, les petites ritournelles qu’on entendrait au-dessus du berceau, les petits trucs qui tournent en rond mais qui ont une très grande force. Et puis à partir de là, en tirant le fil, ça m’a permis de découvrir beaucoup d’autres artistes : Arvo Pärt, Denis Chouillet, Frédéric Lagnau, etc.
Mais au-delà de Moondog et de sa musique j’ai choisi ce podcast pour la maîtrise de sa réalisation. C’est signé Lea Cohen et je trouve que c’est un chef d’œuvre d’écriture.
Entretien réalisé par Adrien Chiquet avec Jean-Paul Roland
Juillet 2024
GALERIE
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