LA CABINE DU VENT
JUDITH BORDAS ET ANNABELLE BROUARD
SORTIE SUR LES PLATEFORMES
Le podcast La Cabine du Vent est à écouter dès à présent sur les plateformes : RadioMA, Spotify, Deezer, Arte Radio, Apple Podcasts.
Judith Bordas et Annabelle Brouard ont sillonné le Pays de Montbéliard, collectant les récits de celles et ceux qui ont accepté de confier la relation intime qu’ils·elles entretiennent avec leurs défunt·es. De ces rencontres est née La Cabine du vent : une création sonore rhapsodique, où fiction et voix du réel se mêlent pour explorer les liens invisibles entre les vivant·es et leurs mort·es.
LA CABINE DU VENT
JUDITH BORDAS ET ANNABELLE BROUARD
SORTIE SUR LES PLATEFORMES
Le podcast La Cabine du Vent est à écouter dès à présent sur les plateformes : RadioMA, Spotify, Deezer, Arte Radio, Apple Podcasts.
Judith Bordas et Annabelle Brouard ont sillonné le Pays de Montbéliard, collectant les récits de celles et ceux qui ont accepté de confier la relation intime qu’ils·elles entretiennent avec leurs défunt·es. De ces rencontres est née La Cabine du vent : une création sonore rhapsodique, où fiction et voix du réel se mêlent pour explorer les liens invisibles entre les vivant·es et leurs mort·es.
Peu de temps après le séisme qui a frappé le nord du Japon en 2011, un homme a érigé une cabine téléphonique dans son jardin pour communiquer avec ses proches disparus, face à un combiné relié au vent. En partant de cet émouvant fait divers, les réalisatrices sonores et metteuses en scène Judith Bordas et Annabelle Brouard ont imaginé La Cabine du vent, un dispositif dessiné pour permettre ces « dialogues transparents entre morts et vivants ». Micro à la main, les deux artistes partent à la rencontre des habitants du territoire de Montbéliard afin de mener des entretiens, des ateliers d’écriture et questionner la façon dont nos défunts continuent de vivre à travers nous. La Cabine du vent devient alors un point de rencontre pour les participants qui peuvent y déposer des témoignages, à l’écrit ou à l’oral. En cherchant ce « presque rien » où se nichent les histoires, Judith Bordas et Annabelle Brouard donnent naissance à une création sonore rhapsodique mêlant fiction et voix du réel, un espace où vivants et morts se regardent, s’approchent et pendant un court instant tentent de se convoquer les uns les autres.
RIQUE
Conception, réalisation et écriture : Judith Bordas et Annabelle Brouard
Scénographie : Amandine Fonfrède et Stéphanie Mathieu
Construction : Hervé Dubois, Jean-Michel Sittler (dit Gabi)
Production : MA scène nationale
Soutenu par Pays de Montbéliard agglomération dans le cadre du label « Capitale française de la culture » 2024
SUR
RADIOMA
TIEN
Judith Bordas et Annabelle Brouard ont imaginé une cabine en bois dans laquelle tout le monde pourra venir déposer des messages à ses morts, et écouter le bruissement du monde. L’installation sera complétée par des ateliers, et un podcast.
D’où vous est venue l’idée d’une « cabine du vent » ?
Judith Bordas : Pour leur Nuit de la radio 2023, j’ai été invitée par la Scam1 à réaliser un programme d’une heure à partir d’archives de l’INA, et j’ai choisi de travailler sur le rapport au rite et à la mort (« Les morts ne l’entendent pas de cette oreille »). À cette occasion, j’ai découvert l’histoire du « téléphone du vent ». Suite aux tsunamis des années 2010, un homme au Nord du Japon a installé une cabine téléphonique chez lui pour dialoguer avec sa femme et les autres membres de sa famille qui n’étaient plus là. Cette cabine n’était reliée à rien, juste au vent.
Annabelle Brouard : Les voisins de ce monsieur ont aussi investi cette cabine, et sont venus déposer des messages pour leurs propres disparus.
Judith Bordas : Avec ce projet, il s’agit de prolonger mon travail à partir des archives, et de s’inscrire dans un territoire en faisant des rencontres et des enregistrements.
À quoi votre cabine ressemblera-t-elle ?
Judith Bordas : Pour la matérialiser comme un espace, nous avons invité deux scénographes à la concevoir, Stéphanie Mathieu et Amandine Fonfrède. On a beaucoup discuté de comment organiser l’espace pour faire advenir une parole, comment créer une architecture qui mette les gens en condition pour déposer une histoire. Quand on fait du plateau radio, on parle à des gens qui ne sont pas là, qui sont chez eux. De la même manière, nous voulions créer un lieu de formulation pour parler à des absents, une cabine pour pouvoir parler à nos morts. La cabine est une sorte de micro — on est souvent émerveillé de se rendre compte à quel point le micro peut permettre aux gens de raconter des choses. Il existe assez peu d’espaces pour parler, à part sur un divan ou face à quelqu’un qu’on connaît bien, et on avait envie de créer cet espace-là, sans qu’il soit religieux ni relié à un rite existant. C’est à la fois une forme de performance et d’expérience.
Annabelle Brouard : La cabine voyagera dans trois lieux à l’extérieur de Montbéliard, et sera installée pendant plusieurs semaines à chaque fois dans des espaces naturels, en bordure de village par exemple. Il faudra qu’on puisse entendre le bruissement du vent, respirer l’air, sentir la brise, être dans une expérience physique et pas uniquement de parole. En définitive, il s’agit d’être à l’écoute, de se connecter au vide.
Judith Bordas : Oui, être à l’écoute du rien ou du presque rien, par opposition à un monde trop rapide, saturé d’images. Avoir un espace à soi, de recueillement. Les personnes qui feront l’expérience de la cabine pourront aussi déposer un mot, une lettre, comme dans un rite. Il y aura une affiche à l’intérieur qui indiquera le protocole d’utilisation. Évidemment, tout ça ne peut fonctionner que si les gens veulent bien s’en emparer !
En parallèle, vous allez mener des ateliers avec des habitants de la région. Comment les deux versants du projet s’articulent-ils ?
Judith Bordas : À moins d’être dans une super disposition, le dispositif peut être un peu inhibant, donc l’atelier est une porte d’entrée vers l’expérience de la cabine. Mais quelqu’un qui tomberait sur la cabine par hasard pourra évidemment aussi l’utiliser ! Mener des ateliers fait partie de notre pratique ; on a l’habitude d’y mélanger le son et le texte pour faire émerger des récits. Cela nous permettra de rencontrer les participants sur la question de leur rapport à leurs morts. Comment continuent-ils à exister avec des personnes qui ne sont plus là ? Quel dialogue entretiennent-ils avec eux ? Ça peut être une recette de cuisine qu’on refait, un parfum qu’on a gardé, un vêtement… On invitera les participants aux ateliers à aller en autonomie dans la cabine, et ils pourront, s’ils en ont envie, nous envoyer des enregistrements sonores effectués pendant ou après. Enfin, on mènera des entretiens individuels pour créer une forme sonore documentaire d’une heure environ, qui restituera l’aventure.
Finalement, votre projet porte autant sur les vivants que sur les morts…
Judith Bordas : Tout à fait. Sans être dans l’ésotérisme, on regarde comment les vivants vivent avec leurs morts, et comment les morts vivent en nous, à travers le souvenir. L’un des ateliers qu’on aimerait faire consiste à récupérer dans les archives les noms de personnes disparues il y a très longtemps pour les redire à voix haute. Dans Au bonheur des morts, la philosophe Vinciane Despret explique qu’un mort, à moins d’être illustre, vit 100 ans : au bout de 100 ans, plus personne ne dit son nom. C’est finalement à nous que revient la responsabilité de rendre vivants les morts. De même, nos morts ressuscitent en quelque sorte si on veut bien aller dire leur nom dans la cabane.
En quoi le médium du son est-il le médium privilégié pour ouvrir une passerelle vers le monde des morts, par opposition à l’image par exemple ?
Annabelle Brouard : Dans La voix sombre, Ryoko Sekiguchi avance que la voix d’une personne disparue replace dans un présent perpétuel. Entendre la voix de quelqu’un provoque un effet de réel et d’hyper-présence.
Judith Bordas : Il dit : « La voix trouble la temporalité parce qu'elle est condamnée à rester au présent pour toujours ». Plus que par la vidéo, c’est comme si le corps entier réapparaissait, parce que la personnalité est dans la voix, à travers le grain, le souffle… N’importe quel enregistrement est l’archive d’un mort futur.
Avec ce projet, avez-vous l’ambition de répondre à la façon dont notre société accompagne la mort et le deuil ?
Judith Bordas : Quand on sort d’un schéma religieux, quand on est athée par exemple, on n’a pas tellement de rite à sa disposition pour faire son deuil. Il n’y a pas de protocole au funérarium par exemple, ce qui peut être déceptif. À titre individuel, je me suis souvent demandé comment j’allais accompagner mes morts à venir, puisqu’il n’y a pas de rite prévu. Ça me travaille beaucoup, et j’imagine que ça travaille d’autres personnes. L’idée est donc d’embarquer d’autres gens pour essayer de résoudre ça collectivement, ou en tout cas poser quelques pierres.
Annabelle Brouard : On invite chacun à trouver une manière de convoquer ses morts, d’inventer son propre rite, de s’approprier le moment, sans forcément questionner ce qui existe déjà. Personnellement, je trouvais important de passer par de petites choses (une parole, un geste), car elles ont quelque chose de moins impressionnant, de moins écrasant, qu’un rituel ou une cérémonie.
Judith Bordas : Par ailleurs, j’entends souvent parler aujourd’hui de coopératives funéraires alternatives qui se mettent en place dans différentes villes. Il y aura un Festival de la mort en septembre à Rennes. Des « cafés mortels » aussi, c’est-à-dire des temps d’information et de discussion sur la mort. J’ai l’impression que la crise du Covid a marqué un tournant ; on s’est rendu compte qu’on avait mal accompagné nos morts, ce qui est une violence faite aux vivants. Les gens se réunissent pour inventer autre chose. Et nous, on s’insère par hasard dans ce mouvement-là.
1 Société civile des auteurs multimédia.
Propos recueillis par Raphaëlle Tchamitchian, mai 2024