sophieberger.com

Réalisatrice sonore, lauréate du prix d’art sonore Pierre Schaeffer en 2013, ses pièces sont diffusées sur France Culture, ARTE Radio, la RTBF et dans de nombreux festivals. Elle crée également pour le spectacle vivant, notamment avec l’auteur Fabrice Melquiot sur des performances et des créations pluridisciplinaires.

fabricemelquiot.fr

Écrivain, parolier, metteur en scène et performer, il a publié une soixantaine de pièces de théâtre, des romans graphiques et des recueils de poésie régulièrement récompensés en France comme à l’étranger. Dans la saison, il présente avec Sophie Berger le spectacle Larsen Love.

« LES RENCONTRES NOURRISSENT LES FORMES »

Ingénieure du son, Sophie Berger œuvre depuis plus d’une dizaine d’années dans la création sonore, des pièces pour la radio mais aussi pour le spectacle vivant : performances, installations, ou encore bandes son pour le théâtre notamment. Un travail où les collaborations artistiques sont fréquentes. Avec Fabrice Melquiot, écrivain, parolier, metteur en scène et performer, elle fait l’ouverture de la Galerie Sonore et présente une playlist de cinq morceaux choisis à découvrir par l’écoute. On retrouve également le duo sur scène, dans Larsen Love, une performance qui implique aussi les spectateurs. 

Avec Fabrice Melquiot, vous développez différents projets, quels sont-ils ?

SB : Ils sont souvent en lien avec des spectacles et se poursuivent toute la saison. Certains sont menés sous la forme d’ateliers avec différents publics. Récemment, nous en avons réalisés en écho à Larsen Love. Plus généralement, dans le son, les pièces sont radiophoniques mais pas uniquement. Certaines peuvent aussi se découvrir sous d’autres configurations. Quatre des performances que nous réalisons cette saison avec Fabrice feront l’objet de fictions radio sur France Culture.

Du côté de la radio, de la création sonore, peut-on évoquer ce qui stimule votre intérêt pour ces formes ?  

SB : A l’origine, il s’agit sans doute d’une succession de hasards. Dans mon rapport avec le son, il y a le fait d’être à l’écoute du monde. C’est d’abord passé par des voyages, l’enregistrement de voix, de rencontres. Il y a les gens mais aussi les paysages. Comment raconter le monde avec le son ? L’écoute est au centre de ma démarche. C’est pourquoi je mène des ateliers autour de la pratique de l’enregistrement, d’emblée envisagée comme écriture sonore. Mon postulat est que celle-ci ne s’effectue pas seulement au banc de montage, sur l’ordinateur. Souvent, dans la préparation d’une pièce radio, on présuppose qu’il y a un contenu à enregistrer. Ce qui implique d’interroger telle et telle personne, de choisir tel ou tel son, mais on n’interroge pas assez souvent la manière dont cela se fait : les dispositifs d’enregistrement, l’infra-verbal, le corps, la façon de tenir son micro, dont on se tient physiquement ou se présente à l’autre, le sourire, le geste. Voilà ce qui m’intéresse.

Je ne cherche pas forcément à témoigner, documenter. Avec Fabrice, notre question serait plutôt : comment recomposer ce qui advient et s’enregistre à partir de l’écoute ? Dès que l’on transfère sur l’ordinateur, sur la timeline, il y a forcément réécriture, fiction et je crois que celle-ci est parfois plus vraie que le réel. Nous travaillons sur des temps très courts, in situ, sur le vif. Dans Larsen Love, performance improvisée avec le public, c’est quasiment dans l’instant. Sinon, nous nous donnons généralement une semaine pour réaliser des formes d’environ une heure à partir de rencontres avec les gens sur un territoire. Ces échanges nourrissent notre réécriture, une forme de fiction qui restitue quelque chose de ce territoire. Peut-être essayons nous d’atteindre quelque chose de « vrai » ?

Comment avez-vous constitué votre playlist pour la Galerie Sonore ? 

Disons qu’avec Fabrice, nous voulions mettre en avant – dans notre shaker commun ! – le fait d’être à l’écoute de ce qui advient dans l’instant. Dans la première pièce, la place de l’orage, évènement imprévu que nous avons enregistré alors que nous étions dans des cafés de Lausanne à la rencontre des gens, donne un relief inattendu. Nous l’avons finalement beaucoup utilisé dans notre performance.

C’est un peu un exemple de notre façon de glaner et de faire feu de tout bois. Le mot de Fabrice serait plutôt le « vrac ». Pour nous, au début des formes, il y a toujours une page blanche et ce « vrac ». Un mélange d’ici et maintenant, de hasards, de mots que le public choisi dans Larsen Love... Cela s’apparente aux contraintes que l’on se donne pour un jeu. La forme s’improvise à partir de cela.

Nous avons aussi retenu la chanson Montparnasse, le grand blanc, pour le cut suspendu, un temps aspiré où toute la musique se retire, presque qu’un silence. Il ne reste plus qu’un son très faible, une note ténue qui s’étire, comme une persistance rétienne, avant que la musique ne démarre à fond. Suspens et silence sont des éléments présents dans notre travail commun. Ils font aussi partie de ce que nous cherchons à utiliser de façon structurelle dans Larsen Love, conçu comme un match improvisé, en public et en direct. Nous sommes chacun devant nos tables, livres pour lui, matériel sonore pour moi, nous faisant face sur une ligne diagonale, partout environné par le public. La pièce se déroule en trois manches identiques. Après discussion, le public propose sept mots issus de livres ou de souvenirs racontés dans l’assistance, ainsi qu’une chanson, un film et un objet placé sur la table. A partir de ces éléments disparates imposés par le hasard et le public, il nous reste à chacun dix minutes, un sablier en témoigne, Fabrice pour écrire un poème et moi pour bricoler ou tenter de tordre le sons. Nous assemblons ensuite ces deux formes, dans une performance vocale, sonore et jouée où le son monte jusqu’au larsen final.

Nous avons choisi la troisième pièce pour le travail sur la voix comme contenu sonore. Comment le discours, la parole peuvent être utilisés comme matière et mis en forme.

C’est une playlist en deux temps. Dans les trois premières pièces sonores évoquées, nous avons sélectionné des formes autour de notre travail. Elles font partie de nos références communes et sont révélatrices de ce qui constitue les moteurs d’écriture de nos performances.

Les deux dernières sont consacrées à la création radiophonique. Ce sont des pièces qui ne sont pas en lien avec notre démarche mais que je trouve très cohérentes, riches, qui travaillent la question du son d’une autre façon. C’est pour cela entre autre que j’avais envie d’en proposer l’écoute, ce sont des pièces que je partage volontiers notamment dans mes ateliers.

Entretien de Irene Filiberti avec Sophie Berger
Octobre 2023